eC!

Social top

Problèmes courants, interventions et résultats

1. Processus de production : mise à jour

Le mastering en électroacoustique est aujourd’hui une réalité, concrétisée entre autres par l’adhésion d’une des plus importantes étiquettes spécialisées dans le genre, empreintes DIGITALes. Il va de soi que cette adhésion n’aurait pu se faire sans le concours actif des compositeurs liés à cette étiquette, eux-mêmes influencés par la communauté des électroacousticiens dans son ensemble. Une autre manière de dire que la professionnalisation progressive des méthodes de production en électroacoustique, dont le mastering représente la première étape historique, répond bel et bien à un besoin. Tout au long de cette suite d’articles, il sera question, non seulement de rendre compte des détails pratiques de cette nouvelle façon de faire et des obstacles bien concrets qu’elle rencontre encore, mais aussi de réfléchir aux possibilités d’évolution aujourd’hui offertes.

Le processus qui a permis aux productions commerciales de supplanter l’électroacoustique au niveau de la qualité sonore des productions étant encore frais dans les mémoires, il suffira peut-être, afin de documenter le chemin qui reste à parcourir, de s’y référer, dans un premier temps tout au moins :

Même si elle est incapable de disposer du niveau d’investissement nécessaire pour pouvoir accéder à de pareilles structures, on peut estimer que la production électroacoustique, lorsque masterisée en stems, (1) peut atteindre grosso modo, en 2007, ce stade intermédiaire de qualité, grâce notamment à l’utilisation d’outils de masterisation contemporains. La marche en avant ne s’arrête pourtant pas là :

Avec la proposition du mixtering, il sera possible à l’électroacoustique de regagner une partie de son retard actuel en termes de qualité de production. Il peut paraître cynique de le mentionner, mais l’actuel recul dans les ventes de CD pop laisse présager une stagnation des investissements liés au développement et à l’acquisition de techniques de production de pointe en musique commerciale : un répit dans l’escalade dont l’EA pourrait profiter… pour faire le rattrapage ultime. Un dernier bond qui ne pourra se faire qu’avec une amélioration de la qualité des sources utilisées, et une professionnalisation des conditions d’écoutes dans les studios de production.

2. Monitoring et sources

Mis à part son coût d’acquisition, qui peut être considérable, la caractéristique la plus déconcertante d’un monitoring de référence est sa franchise, à laquelle il n’est pas nécessairement facile de s’habituer. Si les albums les mieux produits y auront une sonorité exceptionnelle, à la fois plus détaillée et plus agréable que dans des systèmes domestiques, même prétendus haut de gamme, en revanche les productions moyennes ou déficientes paraîtront instantanément imbuvables. Utiliser pareil système en tant qu’écoute de loisir implique donc une remise en question majeure de la composition de sa discothèque. En particulier, peu de parutions électroacoustiques y trouveront grâce, pour toutes les raisons évoquées un peu partout dans cette suite d’articles. Une partie de la méfiance du milieu des compositeurs à l’égard de ce genre de systèmes, outil de travail pourtant largement accepté dans d’autres milieux, trouve là une explication partielle, mais non suffisante, et qu’il faut donc encore développer.

En effet, même si on réussissait à restreindre l’usage d’un système de ce genre au seul travail de production, situation peu concevable dans la pratique, on se retrouverait encore dans un contexte très difficile à gérer, à cause d’une série de problèmes reliés à la qualité des sources. Ces problèmes peuvent se résumer à travers le dilemme suivant :

La solution facile à ce dilemme serait évidemment de se contenter de systèmes de monitoring biaisés et flatteurs, au prix pour l’EA de demeurer, définitivement cette fois, en rade du progrès audio. Nous préférons faire face aux problèmes, notamment en les détaillant en fonction des principales catégories de sources.

2.1 Les sources microphoniques

La captation microphonique est une technique en pleine évolution, et qui requiert, de nos jours, un savoir-faire de plus en plus pointu. Mais son succès dépend aussi largement du contrôle serré d’une quantité de paramètres physiques, contrôle qui exige des moyens matériels de plus en plus considérables. Quels sont ces paramètres?

2.2 Les sources synthétisées

D’emblée, il faut reconnaître qu’aucun logiciel de synthèse ne peut échapper au conflit actuel entre précision des ondes à calculer et économie des ressources en processeur de l’ordinateur hôte.

Un logiciel aussi largement utilisé que Max/MSP, par exemple, déjà notoirement vorace en ressources à l’état neutre, ne peut parvenir à une synthèse de haute qualité sans limiter sévèrement le nombre de « voix » à produire simultanément. Ceci contredit son usage, pourtant presque universel, comme instrument principal de synthèse, hautement interactif et temps réel.

Les instruments de synthèse destinés au pop souffrent des mêmes limitations fondamentales, à ceci près qu’ils embarquent de nombreux outils inamovibles de masquage de leur propre misère qualitative. De plus, le voudrait-on que leur configuration rigide ne permettrait pas de les utiliser en mode haute qualité / peu de voix. (« Massive » de Native Instruments, qui offre un mode « Ultra Quality », est récemment apparu sur le marché.)

Or, il ne faut pas minimiser les problèmes reliés aux compromis effectués sur le calcul des formes d’ondes : non seulement ces distorsions constituent en elles-mêmes des irritants pour l’oreille, mais leur potentiel d’agression est cumulatif, ce qui augmente la difficulté pour les compositeurs d’électroacoustique de construire des ambiances de complexité symphonique.

À cause du haut degré de contrôle qu’elle offre sur le matériau audio brut, la synthèse est encore plus sensible aux déficiences du monitoring que la captation microphonique. Une écoute biaisée est capable d’induire des erreurs fondamentales à presque tous les niveaux d’intervention offerts par la synthèse : contenu harmonique, paramétrage des enveloppes, dosages de tous ordres, etc.

2.3 Les sources par manipulation

Il s’agit au départ de sources microphoniques ou synthétisées, mais tellement transformées que l’essentiel de leurs caractéristiques audibles devient majoritairement tributaire des traitements utilisés pour ces manipulations :

3. Traditions et mentalités

Les difficultés qu’on vient d’exposer ne sont que partiellement insurmontables : l’expérience a prouvé qu’un tri sévère des sources disponibles selon des critères qualitatifs éclairés pouvait mener à des productions électroacoustiques de haute qualité. Le terme clé est ici « éclairé », et il sera nécessaire, pour en comprendre toute la portée, de démonter dans un premier temps un certain nombre de préjugés de production encore tenaces aujourd’hui, avant de formuler, dans la section 4, des recommandations pratiques.

3.1 Déni et crispations esthétiques

En enseignant la priorité du signifiant abstrait sur l’efficacité esthétique, en accordant une équivalence esthétique rigoureuse à des éléments aux caractéristiques euphoniques inégales, les bastions post-modernistes définissent en réalité une signature sonore limitée, qui semble caricaturalement crispée, une fois pour toutes, autour des possibilités techniques auxquelles les années pionnières du genre électroacoustique avaient accès.

Il n’est pas question de discuter ici de la validité esthétique fondamentale de ces arguments, mais de se concentrer sur les faits et sur les résultats : la qualité audio n’est ni automatiquement donnée, ni universellement interchangeable. Ses conditions d’existence se bâtissent, depuis une cinquantaine d’années, grâce à un corpus, en constante accumulation, de savoirs et de techniques complexes qui obéissent à des règles et à des conditions de plus en plus précises. Le fait que ces règles et conditions ne soient pas toujours énoncées clairement — quand elles sont énoncées — ne les invalide pas pour autant. Cela nous donnerait plutôt une occasion de tenter de les formuler, d’en raffiner et d’en développer la portée tout en les adaptant au genre électroacoustique sans craindre — ou plus précisément dans le dessein d’éviter — une perte d’identité.

Pour une musique qui se dit d’avant-garde, il peut donc paraître étrange de finalement demeurer rivé, pour des raisons de fidélité à des concepts abstraits, à des conditions de production élémentaires, tout en sachant que cela revient à abandonner tout espoir de présenter les œuvres avec une qualité sonore de niveau contemporain! Il semble évident que la valeur d’une proposition musicale tient plus à des choix précis d’objets sonores qu’à des limites techniques affectant leur transparence : même des genres aussi « fixés » que le baroque ont su intégrer, sans que personne ne se plaigne de trahison, des avancées techniques à de nombreux niveaux, qui ont fait en sorte que le microsillon de 1973 présente une signature sonore radicalement différente de celle d’un SACD multicanal de 2006.

3.2 Techniques héritées du pop

Le fait que le pop ait eu à dépendre, des années durant, de médias de distribution aussi limitatifs que la bande AM, le 45 tours ou la cassette audio a eu des répercussions profondes sur les techniques d’enregistrement et de mixage de l’époque où ces médias étaient prédominants. Ces stratégies étaient brutales et généraient plus de laideur qu’autre chose, mais leur aspect sommaire, calqué sur une exigence qualitative réduite au strict minimum, les rendait faciles à comprendre et à enseigner.

Bien que les conditions de distribution de la musique en général ne soient plus, loin s’en faut, aussi catastrophiques, beaucoup d’œuvres électroacoustiques sonnent encore comme si leurs créateurs avaient suivi, sinon la lettre, du moins l’esprit de ces recettes surannées. Comment expliquer ce phénomène ? Les deux arguments habituellement invoqués pour justifier cette étrange survivance ne tiennent pas la route : la distribution par MP3 ne profite nullement de ces techniques, et la « guerre du volume » est rejetée avec raison par la plupart des compositeurs.

Pour comprendre, il faut, hélas, se souvenir encore une fois que la communauté électroacoustique s’est tenue depuis trop longtemps en marge de l’évolution des techniques de production, et qu’elle n’a eu d’autres recours que de s’en tenir au savoir-faire correspondant à son niveau d’équipement. Ces recettes, que l’apprenti est encore encouragé de combiner à loisir, sont toutes plus ou moins apparentées aux catégories suivantes :

Voir suite :
4. La réalité audio contemporaine

Social bottom