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Présentation des œuvres électroacoustiques sur des systèmes multi haut-parleurs

5 Questions à Francis Dhomont

1. Est-ce que la présentation d'une pièce sur un système multi haut-parleurs constitue un élément essentiel de sa composition?

En ce qui concerne les oeuvres électroacoustiques, il semble anachronique aujourd'hui de ne pas se préoccuper de leur spatialisation en concert, ce qui sous-entend l'emploi d'un système multi haut-parleurs. Cependant tous les compositeurs n'ont pas ce souci et se contentent, lors de la composition, de gérer la stéréophonie. Mais la stéréo, c'est déjà un système multi haut-parleurs minimal qui offre une image acoustique totalement différente de celle de la monophonie. On peut en déduire que la plupart des compositeurs électroacoustiques, même s’ils n’en sont pas conscients, tiennent compte de l’espace perçu lorsqu’ils composent, ne serait-ce qu’en prévision de la gravure de leur œuvre sur CD. Il peut exister des œuvres monophoniques, apparemment rarissimes, mais ce sont en général des musiques accompagnant un autre médium plutôt que des œuvres autonomes.

Cet intérêt pour la gestion du son dans l’espace est, bien sûr, pleinement assumé dans les œuvres multi canaux pour lesquelles chaque élément musical doit être assigné, au moment même de la composition, à un ou plusieurs haut-parleurs en vue de sa localisation spatiale précise. Aucun doute, dans ce cas, que cette localisation constitue un geste de composition délibéré et donc essentiel.

2. Existe-t-il des circonstances où vous préférez un environnement stéréo ou multi-canal?

En tant que compositeur acousmatique, je reste attaché à la stéréo qui, lorsqu’elle est bien pensée et bien démultipliée en concert sur un orchestre de haut-parleurs, s’avère toujours d’une remarquable efficacité. Mais il va sans dire que les divers environnements multi canaux (4, 8, 16 canaux, 5.1, etc.) offrent, en utilisant des sources de son réelles, des possibilités nouvelles très puissantes et différentes de celles, virtuelles, de la stéréo. D’ailleurs il est courant d’associer les deux formats dans une composition à plusieurs canaux en introduisant des stéréophonies multiples ou en mélangeant des sources stéréo et mono. Les circonstances qui incitent à un choix de format plutôt qu’à un autre sont souvent d’ordre pratique, par exemple quand l’œuvre doit faire l’objet d’un CD ou d’un DVD, quand elle est commandée par un studio multi canaux, etc. Il est probable toutefois que la généralisation domestique du DVD va progressivement inciter les compositeurs à s’approprier le format 5.1 et à l’utiliser comme une stéréo élargie.

 3. Quels facteurs vous apparaissent importants par rapport à la disposition et configuration des haut-parleurs d'un système de diffusion?

Pour un système de spatialisation stéréo, type "acousmonium" ou “BEAST”, la localisation et les caractéristiques des haut-parleurs (bande passante, couleur, directionnalité, etc.) ne sont pas les mêmes d’une œuvre à l’autre. Par exemple une pièce de caractère ample et symphonique exigera une occupation du lieu de projection très éclatée, des “lointains” efficaces, des haut-parleurs nombreux, aux timbres variés, permettant de multiples combinaisons de couleurs, enveloppant le public et l’immergeant dans le son. En revanche, une pièce intimiste, du type musique de chambre, évitera l’imprécision des lointains trop réverbérants et utilisera, surtout si l’œuvre comporte du texte, des diffuseurs de proximité, notamment des “douches” et des haut-parleurs de faible puissance répartis parmi le public. Mais ce ne sont là que deux exemples simples et les variantes sont innombrables. En général, les dispositifs importants (24/36 canaux de projection) offrent de nombreux choix de configurations, ce qui évite les modifications entre les pièces; il suffit alors de choisir, à partir de la console de spatialisation, les haut-parleurs appropriés et de négliger ceux qui ne conviennent pas au caractère de l’œuvre. Pour les systèmes plus modestes, il sera peut-être nécessaire de déplacer des haut-parleurs entre les œuvres afin de les rapprocher ou de les éloigner du public, de les orienter différemment ou de créer des groupes. Bien entendu, quel que soit le dispositif, chaque musique exige ses propres égalisations spectrales.

Pour la spatialisation des compositions multi canaux, la localisation et l’assignation des haut-parleurs sont précisées par le compositeur, il suffit de la respecter. Les diffuseurs sont généralement de même type, sauf indication spéciale du compositeur, ce qui est rare.

Pour le système de spatialisation 5.1, qui en est à ses débuts, il s’agit, dans l’état actuel des choses, de 5 haut-parleurs identiques, un placé centre-face, deux côtés-avant, deux côtés-arrière plus un haut-parleur basses fréquences. Mais il me semble intéressant, pour le concert, d’envisager d’autres solutions concernant tant la nature des haut-parleurs que leur disposition.

Il existe bien d'autres systèmes de spatialisation mais je ne parle ici que de ceux qui me sont familiers.

4. Avez-vous des conceptions à propos de certains types de sonorités et leur spatialisation?

Pas de conception a priori. Quand je compose, “l’espace interne” (celui qui est fixé sur le support au moment de la composition) est un paramètre musical qui, comme les autres, va être fonction du sens et des besoins de chaque œuvre. S’il s’agit de “l’espace externe” (celui qu’on peut ajouter au moment de la projection en salle), tout dépend du contexte de l’œuvre. On peut cependant partir d’un principe de base qui consiste à “accompagner” les choix fixés sur le support par le compositeur. Par exemple renforcer les forte et atténuer les piani, souligner certains mouvements ou trajectoires, accentuer les graves ou les aigus grâce aux égalisations, animer une séquence accumulative en la répartissant aléatoirement dans tout l’espace, etc. Mais ce n’est pas une règle ne varietur et il est souvent préférable de construire une stratégie de projection plus personnalisée.

5. Jusqu'où considérez-vous la diffusion comme étant une performance?

Si l’on parle de la projection active de pièces en format stéréo à partir d’une console, il ne fait aucun doute pour moi qu’il s’agit d’une performance. La preuve en est que selon la manière dont l’œuvre est déployée dans l’espace, elle peut être enrichie ou réduite à néant, comme une bonne ou une mauvaise exécution le fait d’une œuvre instrumentale. Des différences considérables peuvent apparaître entre la projection d’une même pièce, selon les décisions prises par le “directeur du son” et selon sa perception de l’œuvre, comme on le constate lors de chaque concours de spatialisation de Bruxelles. La spatialisation des musiques acousmatiques est une véritable activité d’interprète. On peut d’ailleurs, grâce aux technologies actuelles, enregistrer ces interprétations comme on le fait pour celles d’un instrumentiste ou d’un orchestre.

En ce qui concerne les œuvres multi canaux ou 5.1, j’ai tendance à ne pas intervenir pendant la projection, les différents paramètres de volume, de couleur et d’espace étant déjà fixés avec précision sur le support. Mais certains confrères ne partagent pas ce point de vue.

Francis Dhomont
Juin 2004, Montréal

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