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Éditorial

Pour ce second numéro intitulé « Interviews », notre collaboratrice invitée Barbara Golden a sélectionné une quarantaine d’entretiens avec des invités qu’elle recevait dans le cadre de l’émission de radio Crack o’ Dawn qu’elle anime depuis 1984 sur les ondes de KPFA, à Berkeley en Californie. Des extraits vidéo tirés des « Video Archive of the Electroacoustic Music » sous la direction d’Eric Chasalow et Barbara Cassidy, ainsi que des entrevues réalisées par Julieanne Klein, Sarah Peebles, Bijan Zelli et Kalvos & Damian complètent ce numéro.

La CEC profite de cette parution pour inaugurer son site Web renouvelé dont les changements apportés à la présentation et au format contribueront à en améliorer la navigabilité et l’accès aux contenus archivés.

Tout comme celles parues dans eContact! 10.2, les entrevues présentées dans ce numéro sont instructives d’un point de vue historique, divertissantes et provocantes; elles donnent un aperçu des développements passés, actuels et à venir de tous les styles et genres associés à l’électroacoustique. Méthodes de travail, questions de composition et d’esthétique, descriptions techniques, commentaires d’œuvres individuelles, descriptions de projets, anecdotes et histoires (et pourquoi pas quelques potins!), tous les lecteurs y trouveront leur compte, aussi bien les chercheurs, que les musicologues, étudiants, enseignants, auditeurs occasionnels et amateurs de longue date.

Animée par Barbara Golden, ancienne femme au foyer et institutrice, artiste multidisciplinaire, performeure, auteure, chanteuse, cuisinière (et plus encore!), l’émission Crack o’ Dawn est un peu le baromètre de la musique expérimentale depuis plus de 25 ans : quiconque a joué ou a été joué dans la région de San Francisco est sans doute passé au micro de cette émission. Ses « Conversations at the “Crack o’ Dawn” » sont une excellente source d’information pour comprendre et apprécier les principaux courants et tendances de la musique expérimentale des trente dernières années, ainsi que les préoccupations artistiques et les recherches des artistes qui ont contribué de manière importante à ces développements. Depuis les débuts de l’émission en 1984, sa forme est restée flexible et adaptée aux invités. Certaines de ces « conversations » sont des entrevues en bonne et due forme (Maggi Payne, Mark Trayle, Susan Stone, Rhys Chatham, Chris Brown), d’autres sont des entretiens téléphoniques (La Monte Young, le marathon-Rzewski de sept heures), enfin certaines rencontres tournaient essentiellement ou exclusivement autour de performances en direct (Antimatter, Paul Dresher, Cenk Ergün).

Les intuitions et les renseignements que livrent ces artistes qui discutent en toute sincérité de leur travail artistique, leurs recherches, projets et collaborations, rendent ces entrevues fascinantes et leur confèrent une valeur historique. Les progrès technologiques et l’évolution artistique ont souvent entretenu un rapport symbiotique, ce qui transparaît peut-être avec plus d’évidence au cours du dernier demi-siècle, chacun alimentant l’autre dans une fragile relation de cause à effet qui s’est avérée bénéfique pour les deux champs. Dans certains cas, des œuvres individuelles sont étroitement liées à des avancées technologiques en particulier, nous pensons ici à Turenas de John Chowning (qui s’entretient ici avec Bijan Zelli) qui fut une œuvre phare dans le développement de la synthèse FM. Ce lien de cause à effet est particulièrement évident dans les entrevues réunies dans « The Video Archive of the Electroacoustic Music ». Eric Chasalow et Barbara Cassidy ont entrepris ce projet avec l’intention de documenter l’histoire de la musique électroacoustique, vécue à la première personne. Les entrevues filmées de certains des pionniers de la musique électronique (Bebe Barron, Max Matthews, Milton Babbitt, Pauline Oliveros, Paul Lansky) nous donnent un aperçu des principaux développements, instruments et pratiques de la musique électronique depuis les années 1950. Clarence Barlow aborde également la question du lien étroit entre composition et technologie dans une entrevue avec Kalvos & Damian : son programme Autobusk est bien le fruit d’une approche méthodique parfaitement adaptée à l’emploi de l’ordinateur comme outil compositionnel.

Au fil des changements qui ont marqué le développement de l’électroacoustique — technologies, studio et équipement, performance, questions esthétiques —, la voix est sans doute demeurée l’instrument acoustique le plus utilisé en conjonction avec les moyens électroniques. Poursuivant sa réflexion amorcée dans son travail de recherche doctorale sur les œuvres pour voix et musique électronique en direct ou interactive 1[1. Des extraits de la thèse de doctorat de Klein ont été révisés et publiés dans eContact! 10.4 (octobre 2008). Voir Klein, « Voice and Live Electronics ».], la soprano Julieanne Klein s’est entretenue avec un certain nombre de personnes, notamment le compositeur allemand Karlheinz Essl et l’interprète, compositrice et improvisatrice autrichienne Franziska Baumann. Bien connus pour leurs projets alliant improvisation et composition, tous deux travaillent depuis plusieurs années à mettre au point des interfaces destinées au contrôle du geste, du son et de la performance d’œuvres. Baumann a développé une interface appelée Sensorglove qui permet « de contrôler [sa] voix et de manipuler le son et la spatialisation à l’aide de gestes réalisés en temps réel, tout en maintenant les dispositifs et les contrôleurs près du corps. » Pour sa part, Essl travaille à « la conception et la distribution de [divers] objets et environnements logiciels gratuits pour la composition en temps réel, la performance en direct et la conception sonore » (Klein) qui aident le compositeur-performeur à intégrer les instruments acoustiques et la lutherie électronique en contexte d’improvisation et de performance en direct. Interprète de premier plan de la musique nouvelle depuis le début des années 1970, Joan La Barbara s’entretient avec Kalvos & Damian au sujet de son travail avec certains compositeurs, dont Philip Glass, John Cage et Larry Austin. Elle discute également de ses propres compositions : certaines intègrent l’improvisation, d’autres ont été réalisées à l’aide de techniques d’enregistrement multipiste, d’autres encore nécessitent le traitement de la voix.

Les questions d’identité culturelle et de communauté sont abordées dans les entretiens avec Shahrokh Yadegari (Bijan Zelli), Daniel Goode et George Lewis (ces deux dernières entrevues ont été réalisées par Kalvos & Damian). Le parcours de Yadegari est caractérisé par le mélange de la poésie traditionnelle iranienne avec la musique, et la création de musique électronique. C’est plus tardivement que le clarinettiste américain Goode s’est intéressé à la musique de gamelan balinais. Non sans analogie avec les discussions évoquées précédemment au sujet du lien entre technologie et esthétique, ces entrevues abordent la question de l’impact, sur le développement d’une approche artistique personnelle, de la familiarité avec deux cultures distinctes. Chez Lewis, c’est la convergence de l’AACM (Association for the Advancement of Creative Musicians, dont il a joint les rangs en 1971) à prédominance noire et « la notion de musique expérimentale américaine liée à la culture européenne » qui marque certains aspects de son travail. L’objectif de l’AACM de développer « des stratégies hybrides qui combinent, recontextualisent, et assemblent par collage » semble avoir un effet déterminant sur les résultats de cette convergence dans le travail de Lewis, autant comme compositeur-improvisateur que comme enseignant.

Nous avons également la chance de présenter une entrevue de Sarah Peebles avec Heidi Grundmann, cofondatrice de KunstRadio diffusée à la radio autrichienne depuis 1987. Œuvrant depuis plus de 30 ans dans l’industrie culturelle, Grundmann est une source d’information considérable au sujet des tentatives et des péripéties d’une travailleuse culturelle, qui plus est d’une femme, au sein d’une institution culturelle de grande envergure, ainsi que des changements qu’a connus l’industrie culturelle.

La page WIKI Interviews de la CEC a également été mise à jour. Elle comprend notamment de nouveaux liens vers des pages, des sites et des publications contenant des entrevues avec divers compositeurs et interprètes. Enfin, dans la rubrique « Regards sur le milieu », Jøran Rudi nous livre « Technology-Based Sonic Arts in Norway », qui met à jour son article de 1995 portant sur l’électroacoustique en Norvège.

Nous espérons que vous apprécierez ce numéro et nous vous invitons à visiter SONUS.ca pour entendre les œuvres des auteurs et des artistes présentés dans ce numéro.

par jef chippewa
5 avril 2010

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